Cet article a été publié dans la revue l’Histoire, en janvier 2004.
Je vous mets quelques extraits de l’interview entre Jacques Le Goff et l’Histoire sous le titre :
Le beau Moyen-Âge a vraiment existé.
L’Histoire : L’idée largement partagée, est que le Moyen-Âge est une époque sombre. N’est-ce pas un paradoxe de parler d’un « beau Moyen-Âge » ?
Jacques Le Goff : L’expression « beau Moyen-Âge » est très récente. Pendant longtemps, le Moyen-Âge a en effet été considéré comme une période sombre. En anglais, Moyen-Âge se disait d’ailleurs, jusqu’à une date récente, « Dark Ages » (âges sombres).
L’histoire : Mais le XIX ème siècle, lui, a aimé le Moyen Age, pensons à Victor Hugo et à Notre-Dame de Paris. ..
Jacques Le Goff : Oui, mais même cette redécouverte est ambivalente. Voyez le romantisme : d’un côté, il réhabilite le Moyen-Âge, une période de vie, de passions positives : le gothique devient finalement à la mode, de même que le style troubadour, la cathédrale apparaît comme une sorte de personnage idéal. Cependant, le romantisme laisse subsister le caractère primitif du Moyen-Âge, et, cette fois-ci, dans un sens péjoratif.
L’Histoire : On peut ainsi parler d’un « beau Moyen-Âge », une période heureuse au milieu de périodes sombres ?
Jacques le Goff : En effet. Pour bien le comprendre, il faut remonter à l’origine de l’expression « beau Moyen-Âge ». Il me semble qu’elle trouve sa source il y a plus d’un demi-siècle, lorsque Lucien Febvre a parlé du « beau XVI ème siècle ». Une façon pour lui d’opposer deux périodes chronologiques. Un premier XVI ème siècle plus riant, celui de la Renaissance et des châteaux de la Loire, jusqu’à la fin du règne de François 1er, et une fin de siècle noire, celle de Catherine de Médicis, des famines et des guerres de religions.
L’Histoire : Reste que le « beau Moyen-Âge », c’est d’abord à nos yeux, le temps des cathédrales.
Jacques le Goff : Oui, le « beau Moyen-Âge » est celui d’une incomparable éclosion artistique : c’est l’époque du Gothique, un art introduit dans l’église abbatiale de Saint-Denis, par l’abbé Suger, dès le milieu du XII ème siècle. Une éclosion d’autant plus spectaculaire à nos yeux, que la plupart de ces monuments ont été conservés.
L’Histoire : Qu’est-ce qui change dans les années 1260 ?
Jacques le Goff : Le « beau Moyen-Âge » commence alors à s’effriter. On le voit dans l’espace-même où il s’est le mieux affirmé : Les villes, où se multiplient les grèves de travailleurs et révoltes des pauvres. L’essor démographique s’essouffle, l’extension des cultures s’arrête, les gouvernements se troublent, les chantiers des cathédrales ne se terminent pas. Si les hérétiques ont été plus ou moins contenus ou refoulées, les Juifs sont là et les expulsions, les pogroms se déchaînent. Enfin, au début du XIVème siècle, la famine fait un retour en force.
Finalement, le « beau Moyen-Âge » perdra sa capitale, Rome, où le jubilé de 1300 a été le point d’orgue du beau XIII ème siècle religieux. Les papes l’abandonnèrent pour s’installer en Avignon en 1309, face à l’affrontement des grandes familles romaines et à l’agitation de la population.
Reste que c’est pendant ce beau XIII ème siècle qu’ils y auront construit les palais qui incarnent leur puissance.
Tous les hommes du XIII ème siècle sont chrétiens bien sûr. Mais, sans cesser d’être animés par la foi et par l’attente du salut éternel, ils peuvent désormais l’espérer en s’investissant sur la terre. D’une certaine façon, le « beau Moyen-Âge », c’est la préfiguration du salut sur terre.
Dame Tiffen, le 24/02/2019.
Cher Maître, j’ai écrit cet article, mais vous l’avez admirablement illustré, bravo !!